Les films surréalistes du cinéma tchèque des années 60: une révolution esthétique oubliée

Dans l’effervescence culturelle des années 1960, alors que le rideau de fer semblait momentanément s’entrouvrir, la Tchécoslovaquie a connu une période extraordinaire de créativité cinématographique connue sous le nom de Nouvelle Vague tchécoslovaque. Cette période, qui culmina brutalement avec le Printemps de Prague en 1968, donna naissance à certaines des œuvres les plus audacieuses et surréalistes de l’histoire du cinéma.

Scène surréaliste d'un film tchèque des années 60

Une scène emblématique du film “Les Diamants de la nuit” (1964) de Jan Němec, illustrant l’approche onirique caractéristique de la période

Les cinéastes tchèques de cette époque, formés à la célèbre FAMU (École de cinéma de Prague), développèrent un style unique mêlant surréalisme, critique sociale voilée et innovations techniques. Věra Chytilová, avec son chef-d’œuvre “Les Petites Marguerites” (1966), poussa les limites de la narration conventionnelle en créant un collage anarchique et féministe qui défiait autant les conventions sociales que cinématographiques.

Composition surréaliste tchèque

Composition inspirée des décors expérimentaux de “Valerie au pays des merveilles” (1970) de Jaromil Jireš

L’influence du surréalisme historique tchèque, notamment à travers les œuvres de Karel Teige et Vítězslav Nezval, se retrouve clairement dans les films de cette période. Jan Švankmajer, figure majeure de l’animation surréaliste, commença sa carrière durant cette période avec des courts-métrages comme “Dimensions of Dialogue” (1982), mélangeant animation en volume, collage et imagerie cauchemardesque.

La technique du collage, tant visuel que narratif, devint une signature de ce mouvement. Les cinéastes utilisaient des montages discontinus, des changements brusques de format (du noir et blanc à la couleur), et des ruptures narratives audacieuses. Cette approche permettait de contourner habilement la censure tout en exprimant des critiques sociales profondes.

Scène expérimentale tchèque

Image évoquant l’atmosphère onirique du film “Le Cremator” (1969) de Juraj Herz

Un aspect particulièrement fascinant de ce mouvement fut son utilisation innovante du son. Des compositeurs comme Zdeněk Liška créèrent des bandes sonores expérimentales qui amplifiaient l’aspect surréel des images. Dans “Le Cremator” (1969) de Juraj Herz, la musique et les effets sonores contribuent à créer une atmosphère cauchemardesque qui souligne la descente dans la folie du protagoniste.

L’héritage de cette période continue d’influencer le cinéma contemporain. Des réalisateurs comme Michel Gondry ou Terry Gilliam ont reconnu leur dette envers ces pionniers tchèques. Malheureusement, après l’invasion soviétique de 1968, beaucoup de ces films furent interdits et leurs créateurs contraints au silence ou à l’exil.

Composition surréaliste cinématographique

Représentation artistique inspirée des techniques de collage utilisées dans “Les Petites Marguerites” de Věra Chytilová

Les thèmes récurrents de ces films – l’absurdité bureaucratique, la liberté individuelle, la rébellion contre les conventions sociales – résonnent encore aujourd’hui. Les techniques développées pendant cette période, comme l’utilisation de la déformation optique, les montages non-linéaires et les mélanges de formats, ont ouvert la voie à de nouvelles formes d’expression cinématographique.

Cette période représente un moment unique où l’avant-garde artistique, la critique sociale et l’expérimentation technique ont convergé pour créer un corpus d’œuvres sans équivalent. La redécouverte récente de ces films, grâce aux restaurations numériques et aux rétrospectives internationales, permet enfin de mesurer leur influence durable sur l’histoire du cinéma.

Sources:

  • Peter Hames, “The Czechoslovak New Wave” (Wallflower Press, 2005) – Lien
  • Antonín J. Liehm, “Closely Watched Films” (International Arts and Sciences Press, 1974) – Lien
  • Archives de la Cinémathèque tchèque – Lien
  • Jonathan Owen, “Avant-Garde to New Wave” (Berghahn Books, 2011) – Lien