La peinture murale de Diego Rivera au Rockefeller Center: histoire d’une destruction controversée
En 1932, Nelson Rockefeller commanda à Diego Rivera, l’un des plus célèbres muralistes mexicains, une fresque monumentale pour le hall d’entrée du Rockefeller Center à New York. Cette œuvre, intitulée “Man at the Crossroads” (L’Homme au carrefour), devait symboliser la confrontation entre le capitalisme et le socialisme, ainsi que le rôle de la technologie dans la société moderne. Personne ne pouvait alors imaginer que cette commande aboutirait à l’une des plus grandes controverses artistiques du XXe siècle.
Rivera, connu pour ses convictions communistes et son engagement politique, entreprit de créer une œuvre magistrale de 63 pieds de large sur 17 pieds de haut. Au centre de la composition se trouvait un ouvrier contrôlant une machine, symbolisant la maîtrise de l’homme sur la technologie. De part et d’autre s’étendaient des scènes représentant les forces opposées du capitalisme et du socialisme.
La controverse éclata lorsque Rivera inclut un portrait de Lénine dans la partie gauche de la fresque. Cette décision provoqua l’indignation des Rockefeller et de nombreux New-Yorkais. Nelson Rockefeller demanda à Rivera de remplacer le visage de Lénine par celui d’un anonyme, ce que l’artiste refusa catégoriquement, considérant cela comme une atteinte à sa liberté artistique.
Le 9 mai 1933, les responsables du Rockefeller Center prirent une décision radicale : la fresque fut recouverte de toile. Quelques mois plus tard, dans la nuit du 9 février 1934, l’œuvre fut définitivement détruite, réduite en poussière par des ouvriers. Cet acte de destruction artistique provoqua un tollé international et devint un symbole de la tension entre l’art, le pouvoir et la liberté d’expression.
Rivera ne se laissa pas abattre par cette destruction. Il recréa la fresque au Palacio de Bellas Artes de Mexico City sous le titre “Man, Controller of the Universe” (L’Homme, contrôleur de l’univers). Cette nouvelle version, achevée en 1934, reprenait les éléments essentiels de l’œuvre originale, y compris le portrait de Lénine, et y ajoutait même d’autres figures controversées.
Cette affaire révèle les tensions inhérentes entre l’art commandité et la liberté artistique. Elle pose également des questions fondamentales sur la propriété intellectuelle de l’art public et le droit moral des artistes. La destruction de la fresque de Rivera reste aujourd’hui un exemple frappant des conflits pouvant survenir lorsque l’art politique rencontre le pouvoir économique.
L’incident a eu des répercussions durables sur l’histoire de l’art américain et sur les relations entre les artistes et leurs mécènes. Il a contribué à alimenter le débat sur la censure artistique et a influencé la façon dont les contrats entre artistes et commanditaires sont rédigés aujourd’hui.