Les portraits de la collection Romanov: miroirs du pouvoir à Saint-Pétersbourg

La collection de portraits des Romanov conservée au Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg constitue l’un des plus remarquables ensembles de peintures officielles illustrant le pouvoir impérial russe. À travers ces œuvres commandées sur plus de trois siècles, se dessine non seulement l’histoire d’une dynastie, mais aussi l’évolution des codes de représentation du pouvoir monarchique.

Portrait de Catherine II par Johann Baptist von Lampi l'Ancien
Portrait de Catherine II par Johann Baptist von Lampi l’Ancien, 1780s. Kunsthistorisches Museum, Vienne

Les débuts de la collection sous Pierre le Grand

C’est véritablement sous le règne de Pierre le Grand (1682-1725) que débute la constitution systématique d’une galerie de portraits dynastiques. Le tsar réformateur, soucieux d’occidentaliser la Russie, fait venir à sa cour des artistes européens et commande de nombreux portraits officiels. Ces œuvres rompent avec l’iconographie traditionnelle russe pour adopter les codes du portrait d’apparat baroque.

Le célèbre portrait de Pierre le Grand par Jean-Marc Nattier (1717) illustre parfaitement cette nouvelle approche : le tsar y est représenté en armure à l’antique, dans une pose majestueuse inspirée des portraits royaux français. Cette œuvre servira de modèle pour de nombreux portraits ultérieurs de la famille impériale.

Portrait de Pierre le Grand par Jean-Marc Nattier
Portrait de Pierre le Grand par Jean-Marc Nattier, 1717. Musée de l’Ermitage

L’âge d’or sous Catherine II

Le règne de Catherine II (1762-1796) marque l’apogée de la collection des portraits Romanov. L’impératrice, grande mécène et collectionneuse éclairée, multiplie les commandes auprès des plus grands portraitistes européens de son temps. Elle fait notamment appel à Alexander Roslin, Vigilius Eriksen, Johann Baptist Lampi l’Ancien et Vladimir Borovikovsky.

Ces artistes développent une iconographie sophistiquée où les attributs du pouvoir (couronne, sceptre, globe) se mêlent à des références à l’Antiquité et aux Lumières. Le portrait de Catherine II par Borovikovsky (1794) la montre ainsi en “Minerve du Nord”, alliant symbolique impériale et références culturelles.

Portrait de Catherine II par Vladimir Borovikovsky
Portrait de Catherine II par Vladimir Borovikovsky, 1794. Galerie Tretiakov

Le XIXe siècle : entre tradition et modernité

Au XIXe siècle, la collection s’enrichit considérablement sous les règnes successifs d’Alexandre Ier, Nicolas Ier et Alexandre II. Les portraits adoptent un style plus réaliste tout en conservant une dimension cérémonielle. Les peintres russes comme Vladimir Borovikovsky, Orest Kiprensky et Karl Briullov rivalisent désormais avec leurs homologues européens.

L’apparition de la photographie dans les années 1840 influence progressivement l’esthétique des portraits peints. Les poses deviennent plus naturelles, les décors moins théâtraux. Le portrait d’Alexandre III par Ivan Kramskoi (1886) illustre cette évolution vers plus de sobriété, tout en maintenant la dignité impériale.

Fonction politique et diplomatique des portraits

Les portraits de la collection Romanov ne sont pas de simples œuvres d’art : ils constituent de véritables instruments de pouvoir. Reproduits en de multiples exemplaires, ils sont distribués dans les ambassades, les institutions officielles et les résidences impériales à travers tout l’Empire. Ils servent à affirmer la présence symbolique du souverain et à diffuser une image contrôlée de la monarchie.

Ces portraits jouent également un rôle crucial dans la diplomatie. Les échanges de portraits entre cours européennes permettent de sceller des alliances et de maintenir des liens dynastiques. La collection de l’Ermitage conserve ainsi de nombreux portraits de souverains étrangers apparentés aux Romanov.

Conservation et restauration

La révolution de 1917 marque une rupture dans l’histoire de la collection. De nombreux portraits sont vandalisés ou dispersés, mais une partie importante est préservée grâce à la nationalisation des collections impériales. Aujourd’hui, le département de restauration de l’Ermitage poursuit un travail minutieux de conservation et d’étude de ces œuvres.

Les techniques modernes d’analyse (radiographie, réflectographie infrarouge) permettent de mieux comprendre les méthodes des artistes et de documenter les modifications parfois apportées aux portraits pour des raisons politiques ou esthétiques.

Héritage et influence contemporaine

L’influence de la collection Romanov se fait encore sentir dans l’art contemporain russe. Certains artistes actuels s’approprient et détournent ces portraits historiques pour questionner le pouvoir et ses représentations. La collection continue également d’inspirer les créateurs de costumes et de décors pour le cinéma et le théâtre.

Les portraits Romanov constituent ainsi un témoignage exceptionnel sur trois siècles d’histoire russe et européenne, tout en restant une source de réflexion sur la représentation du pouvoir.

Sources :

  • Komelova, G. N. “Imperial Portraits in the Hermitage Collection”. Saint Petersburg: State Hermitage Publishing House, 2019.
  • Androsov, S. O. “The Romanovs: Artistic Legacy of a Dynasty”. Moscow: Pinakotheke, 2015.
  • Hughes, Lindsey. “The Romanovs: Ruling Russia 1613-1917”. London: Hambledon Continuum, 2008.
  • Site officiel du Musée de l’Ermitage
  • Site officiel de la Galerie Tretiakov