Le film muet comme outil de propagande en Union soviétique des années 1920
Dans les années qui suivirent la Révolution d’Octobre 1917, le cinéma muet devint l’un des instruments les plus puissants de la propagande soviétique. Lénine lui-même déclara que “de tous les arts, le cinéma est pour nous le plus important”, reconnaissant ainsi le potentiel unique du médium pour atteindre et influencer les masses, particulièrement dans un pays où l’analphabétisme était encore très répandu.
Projection d’un film de propagande dans une usine de Moscou, 1924. Les ouvriers assistaient régulièrement à des séances de cinéma éducatif.
La nationalisation du cinéma
Le 27 août 1919, l’industrie cinématographique fut nationalisée par décret, plaçant l’ensemble de la production et de la distribution sous le contrôle direct de l’État. Cette centralisation permit au régime de développer une véritable stratégie de communication visuelle, utilisant le cinéma comme vecteur des idéaux révolutionnaires. Les studios VUFKU en Ukraine et Goskinprom en Géorgie furent créés, mais c’est principalement à Moscou que se concentra l’essentiel de la production.
Les grands réalisateurs au service de la révolution
Des cinéastes talentueux comme Sergueï Eisenstein, Vsevolod Poudovkine et Dziga Vertov développèrent de nouvelles techniques de montage qui influencèrent durablement l’histoire du cinéma mondial. Le montage soviétique, caractérisé par ses juxtapositions rythmiques et ses associations d’idées, devint un outil narratif puissant pour véhiculer les messages politiques.
Sur le tournage du film “La Grève” d’Eisenstein (1925). Les équipes de tournage travaillaient souvent avec des acteurs non professionnels pour plus d’authenticité.
Thèmes et messages
Les films de cette période abordaient principalement plusieurs thèmes récurrents :
– La glorification de la révolution et de ses héros
– La lutte des classes et la victoire du prolétariat
– La modernisation et l’industrialisation du pays
– La collectivisation agricole
– La critique de la religion et des anciennes élites
– L’émancipation des femmes
Des œuvres majeures comme “Le Cuirassé Potemkine” (1925) d’Eisenstein ou “La Mère” (1926) de Poudovkine illustrent parfaitement cette utilisation du cinéma à des fins politiques. Ces films combinaient une grande qualité artistique avec un message idéologique clair, rendant la propagande d’autant plus efficace.
Un cinéma ambulant dans un village rural, 1927. Ces projections itinérantes permettaient de toucher les populations éloignées des centres urbains.
Les agit-trains et cinémas mobiles
Pour atteindre les populations rurales, le régime mit en place un système de projection mobile. Des “agit-trains” et des “agit-bateaux” parcouraient le pays, équipés de projecteurs et de films de propagande. Ces unités mobiles jouèrent un rôle crucial dans la diffusion des idées révolutionnaires dans les régions les plus reculées de l’Union soviétique.
L’impact sur la société
L’effet de cette propagande cinématographique fut considérable. Le cinéma muet permettait de transcender les barrières linguistiques dans un pays multiethnique, et son caractère visuel le rendait accessible aux populations illettrées. Les statistiques montrent qu’en 1928, plus de 70 millions de spectateurs assistaient annuellement à des projections cinématographiques en URSS.
Affiche promotionnelle pour un film de propagande, 1926. L’art graphique soviétique développa un style distinctif pour promouvoir les films.
L’héritage
L’influence du cinéma muet soviétique des années 1920 dépassa largement les frontières de l’URSS. Les innovations techniques et artistiques développées par les cinéastes soviétiques, notamment en matière de montage, eurent un impact durable sur le cinéma mondial. Les théories d’Eisenstein sur le montage sont encore enseignées dans les écoles de cinéma aujourd’hui.
Les documentaires de Dziga Vertov, notamment “L’Homme à la caméra” (1929), révolutionnèrent le genre en développant de nouvelles approches du réel, influençant durablement le cinéma documentaire mondial.
Sources :
- Taylor, Richard. “The Politics of the Soviet Cinema 1917-1929” Cambridge University Press, 1979.
Lien - Kenez, Peter. “Cinema and Soviet Society: From the Revolution to the Death of Stalin” I.B. Tauris, 2001.
Lien - Youngblood, Denise J. “Soviet Cinema in the Silent Era, 1918–1935” University of Texas Press, 1991.
Lien - Archives numériques du Musée du cinéma de Moscou
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